- LUMIÈRE - Histoire des idées
- LUMIÈRE - Histoire des idéesLa lumière est facilement associée à une notion d’évidence et de simplicité dont elle reste le symbole. La Genèse affirme que la lumière fut créée le premier jour, précédant ainsi largement une complexité du monde sans cesse accrue.Pourtant ce phénomène, le plus directement associé aux manifestations du monde sensible et aux perceptions visuelles immédiates, se révèle bientôt très mystérieux. «Nous saurions beaucoup de choses, affirmait Louis de Broglie, si nous savions ce qu’est un rayon lumineux.»Si l’on essaie de formuler les questions qui se posent actuellement sur la nature de la lumière, on constate bien vite que la forme même des questions ne peut se transposer dans le passé sans d’essentielles modifications. Dès que les notions de corpuscule et de milieu prirent un sens précis, au XVIIe siècle, on a pu, en effet, se demander si la lumière était un corps, ou bien, au contraire, le mouvement d’un corps; s’il s’agissait d’une substance spécifique ou bien d’un mouvement spécifique. Dans l’Antiquité, cette distinction n’avait pas beaucoup de sens car la notion de milieu, support de vibrations, mais dépourvu lui-même de mouvement d’ensemble, était à peu près inconnue. C’est dire que, jusqu’au XVIIIe siècle, les hypothèses sur la nature ondulatoire ou corpusculaire de la lumière, sur son mode de propagation par l’émission de corpuscules ou par vibrations n’étaient aucunement essentielles. On pouvait parfaitement concevoir la lumière comme un milieu continu, comme un «feu artiste», susceptible de déplacement d’ensemble. On pouvait aussi lui attribuer une structure corpusculaire, réduction non spécifique d’un objet macroscopique avec toute sa diversité. Les notions de continu et de discontinu se rattachent alors à une question d’échelle, mais ne sont pas primordiales. De même, le mode de propagation n’est pas essentiel tant que l’on ignore les propriétés d’un milieu.Au fur et à mesure que se précisent les notions de milieu et de vibrations, la question de la nature de la lumière – substance spécifique ou mouvement spécifique – se pose avec plus d’acuité. Il est remarquable que, dans cette évolution, la lumière ne cesse de se présenter comme un phénomène d’exception : ses manifestations les plus simples, les phénomènes de réfraction, montrent qu’elle ne se comporte pas comme une particule matérielle usuelle: dans un milieu plus dense, les rayons lumineux se rapprochent de la normale alors qu’une pierre, jetée dans l’eau, s’en écarte. Une vue plus approfondie de la situation conduit à de profondes difficultés dès qu’on veut rapprocher le principe de la moindre action (Maupertuis) appliqué à un projectile matériel d’un principe du moindre temps (Fermat).Finalement, au début de ce siècle, la lumière semble bénéficier d’un célèbre dualisme: elle se manifeste tantôt comme onde, tantôt comme corpuscule. C’est un tel dualisme que la mécanique ondulatoire va étendre à la propagation de toute particule matérielle.Ainsi, la lumière s’affirme comme un phénomène d’exception: en relativité, les trajectoires des rayons lumineux définissent le cône isotrope délimitant le passé et le futur de chaque observateur. En mécanique ondulatoire, les théories de la lumière ont servi de modèle pour prévoir l’existence d’une «onde associée» au mouvement de chaque particule. Néanmoins, la coexistence de l’onde et du photon a soulevé maints problèmes.Ainsi, la simplicité primitive de la «lumière du premier jour» devient la complexité qui accompagne les fondements mêmes de la physique et rassemble, en grande partie, ses difficultés.1. Les théories archaïquesLes théories archaïques concèdent à la lumière une sorte de prédominance mythique. Il s’agit alors d’un Feu qui constitue la forme primitive de la lumière. Dans la physique d’Héraclite d’Éphèse (VIe siècle av. J.-C.), ce feu réalise l’unité de toute chose; il constitue la règle des transformations de la matière et préside à ses bouleversements.Pour les pythagoriciens, la lumière permet une harmonisation de la connaissance; c’est un feu visuel adapté à la diversité du monde qu’il permet d’explorer.Les théories archaïques vont bientôt se fragmenter en plusieurs courants, sans cesser de constituer des théories de la vision beaucoup plus que des théories sur la nature de la lumière. La question qui se pose est en effet «Comment voyons-nous?» et non pas «Quelle est la nature de l’agent qui nous permet de voir?». Selon la réponse à cette première question, on peut distinguer trois types de théories: la lumière peut, en effet, avoir sa source dans les objets eux-mêmes (théories du feu externe), dans l’œil qui voit (théories du feu visuel), ou bien dans les deux à la fois. Notons que dans toutes ces conceptions, la nature continue ou discontinue de la lumière, son mode de propagation (mouvement spécifique d’un milieu ou émission de corpuscules) ne jouent qu’un rôle très accessoire.Théories du feu externeEmpédocle d’Agrigente propose un cosmos fondé sur la présence de quatre éléments (feu, air, eau, terre). Le premier d’entre eux, le plus subtil, s’apparente à la lumière sans toutefois se confondre avec elle. Plus tard, Aristote essaiera de rattacher les propriétés de la lumière à la propagation du feu dans le diaphane, à ses altérations spécifiques au sein des milieux transparents. Ces modifications vont-elles conduire déjà à supposer des mouvements de type vibratoire? L’ambiguïté de la physique d’Aristote permet difficilement de souscrire à une opinion aussi tranchée que soutiendront plus tard de nombreux disciples.D’autre part, dès l’époque de Leucippe de Milet (VIe siècle av. J.-C.), certaines théories du feu visuel avaient décomposé ce feu en micro-objets, les eidola , images fidèles et réduites des corps matériels. Cette miniaturisation qui conserve au corpuscule lumineux les multiples qualités de l’objet s’affirme chez Épicure, dont la théorie sera vulgarisée plus tard par Lucrèce. Les «simulacres» qui produisent alors la vision et même les phantasmes des rêves possèdent toutes les qualités des corps dont ils proviennent.Au contraire, ces micro-objets vont se fragmenter, soit d’après un atomisme des qualités (chaque micro-objet correspond alors à une propriété, couleur, odeur, etc., déterminée: ce sont les «homéories» d’Anaxagore), soit d’après les seuls critères de l’étendue et du mouvement. Tels sont les atomes de Démocrite, atomes dépourvus de toute autre qualité sensible. La vision résultera ainsi de la collision entre ces atomes, mais ces derniers ne sont pas spécifiques du seul feu externe.Théories du feu visuelLes théories du feu visuel affirment, au contraire, que l’œil, et non pas les objets vus, est le siège d’une émission spécifique permettant la vision. Cette opinion est admise par une part importante de l’école pythagoricienne (Aechytas de Tarente), mais son représentant le plus brillant reste certainement Euclide.Il n’est pas étonnant que le fondateur de l’école d’Alexandrie, auteur de l’optique géométrique et de la catadioptrique, ait déduit des conséquences aussi remarquables et aussi rigoureuses d’une théorie du feu visuel: le principe du retour inverse de la lumière autorise toutes les constructions d’Euclide, fondées seulement sur la notion de rayon lumineux et de propagation rectiligne. Bien mieux, ce principe les simplifie et les facilite.Les disciples d’Euclide, Hipparque (vers 150 av. J.-C.) puis, au Ier siècle de notre ère, Claude Ptolémée et Héron d’Alexandrie vont admettre des principes analogues et développer leurs conséquences avec succès. Dans la seconde moitié du IIe siècle, Galien de Pergame étudie la structure de l’œil sans en déduire un mécanisme de la formation des images.Théories mixtesLes théories mixtes ont une double origine: la doctrine des quatre éléments (Empédocle) et l’hypothèse d’un feu visuel spécifique. La vision résulte ainsi d’une nécessaire interaction de ces deux courants. Selon Platon, la vision naît d’une adaptation réciproque de l’agent et du patient.D’une manière plus précise, les couleurs sont produites par des modalités particulières de cette réciproque adaptation: si le feu externe est constitué par des particules plus étendues que celles du feu visuel, le feu externe rassemble le feu visuel et produit la sensation de noir. Si le feu externe, au contraire, comporte des particules plus petites, il en résulte l’impression de blanc. Les autres couleurs découlent de proportions diverses et de mélanges variés. D’une manière ingénieuse, une théorie mixte permet d’interpréter les caractéristiques des images obtenues par réflexion, en particulier l’inversion droite et gauche de ces images par rapport à l’objet après réflexion sur les miroirs plans ou concaves.2. Le Moyen ÂgeLes premiers siècles de notre ère laissent subsister des courants très divers, issus de conceptions rudimentaires, superficielles, que ne viennent étayer que de très rares et très insuffisantes vérifications expérimentales. Il faut attendre ensuite le XIe siècle pour qu’une optique expérimentale renaisse en Égypte; elle est l’œuvre de physiciens arabes, et surtout d’Ibn al-Haytham, plus connu sous le nom d’Alhazen (965-1039).Alhazen attribue à la lumière une origine extérieure à l’œil, mais, surtout, il imagine diverses expériences destinées à mettre en évidence l’influence de la lumière sur l’œil, se servant par exemple d’un dispositif de chambre obscure. D’autre part, il reprend le concept de rayon lumineux, qui avait fait le succès de l’optique d’Euclide, et l’utilise pour préciser une correspondance biunivoque entre chaque point de l’image et chaque point de l’objet. Le phénomène de la vision est ainsi décomposé en processus élémentaires et la formation de l’image est déterminée par la position du cristallin.Enfin, Alhazen propose de très nombreuses expériences de réflexion et de réfraction, utilisant des miroirs ou des lentilles planes ou sphériques. Il montre l’interdépendance des rayons lumineux qui se croisent sans être altérés. Il étudie même la diffusion de la lumière par les corps opaques.L’optique d’Alhazen est remarquable en ce sens qu’elle constitue un travail expérimental dépourvu de préjugés. Diffusée partiellement par Witelo (1271), elle constitue une tentative certes fragmentaire, mais dont l’inspiration quasi moderne est alors tout à fait exceptionnelle.En effet, jusqu’au XIIIe siècle, le développement d’une optique expérimentale est à peu près nul. Un certain renouveau apparaît dans le cercle dit école de Chartres. Néanmoins, au XIIIe siècle, après l’introduction de l’œuvre d’Aristote à l’université de Paris, sa confrontation avec la cosmologie issue des travaux de Ptolémée s’épuise dans des discussions assez stériles (averroïsme). Enfin, l’école d’Oxford, avec Robert Grosseteste, Roger Bacon (1214-1294), s’efforce de ranimer une tradition scientifique attachée à des principes platoniciens. En particulier, Bacon, qui connaît bien l’œuvre d’Alhazen, essaie de rénover une tradition expérimentale très hésitante. Au XIVe et au XVe siècle se poursuivent des expériences systématiques sur l’arc-en-ciel et sur la décomposition de la lumière par le prisme de verre.Les opinions sur la nature de la lumière vont surtout ressusciter, à travers Aristote et saint Thomas, de très anciens préjugés. Néanmoins, les perfectionnements de la technique s’accélèrent. Joints à la diffusion de l’optique d’Euclide et des travaux d’Alhazen, ils vont permettre une véritable renaissance de l’optique expérimentale.3. Le problème de la nature de la lumière au XVIe siècleLe problème de la nature de la lumière est abordé au début du XVIe siècle suivant des perspectives très variées. Léonard de Vinci (1452-1519), qui étudie la propagation des rayons lumineux à l’intérieur d’une chambre obscure, s’attache aux analogies entre la lumière et le son, à la formation des couleurs par répartition des zones d’ombre et de lumière.L’utilisation des lentilles de verre convexes, dont l’origine reste mystérieuse, progresse rapidement. De fabrication probablement artisanale, ces lentilles sont utilisées tout d’abord de façon purement empirique et utilitaire pour corriger la vue. Le fonctionnement de ces instruments, que connaissaient déjà Roger Bacon et Gérôme Frascator, permet d’étudier le comportement du cristallin. Grégoire Reisch de Fribourg (1475-1523), F. Mauricolo (1494-1575), Giambattista Della Porta (1538-1615) écrivent des traités dont le rôle pratique n’est pas douteux (Magia naturalis ).La première lunette à oculaire divergent est construite en 1590. Galilée, au début du XVIIe siècle, utilise ces appareils pour l’exploration du ciel et, en 1610, découvre quatre des satellites de Jupiter. En outre, il construit l’un des premiers microscopes, s’émerveillant des observations ainsi réalisées. On sait la polémique que soulève l’emploi de ces instruments, créateurs de phantasmes, origine d’illusions trompeuses. Pourtant, en 1611, sur les conseils de Galilée, Kepler observe à son tour les «planètes médicéennes». Dès lors, le rôle bénéfique des instruments d’optique est reconnu. La réaction des corps éclairés par la lumière, les lois de la réflexion et de la réfraction (il s’agit d’une loi approchée i = n . r ), le mécanisme de la vision reconnaissant la formation d’une image renversée sur la rétine, le fonctionnement des lentilles convergentes et divergentes, tout cela fait l’objet du célèbre traité de Kepler Ad Vitellionem paralipomena (1604).La distinction entre «rayons lumineux», sans véritable réalité physique, et «ondes sphériques isotropes» se trouve, bien qu’en termes sybillins, au premier chapitre, «De natura lucis», du traité de Kepler. La lumière est une action qui se propage à une vitesse infinie et dont l’intensité, comme un effet de surface, décroît suivant 1/r 2.4. Le cosmos cartésien et la nature vibratoire de la lumièreLa conception de la nature de la lumière est inséparable, pour Descartes, de l’ensemble du cosmos. L’existence d’un univers incompressible et plein permet les seuls mouvements tourbillonnaires. La matière la plus subtile est ainsi pressée, et cette pression, qui se transmet instantanément à travers un milieu incompressible, constitue l’essence même des phénomènes lumineux. La lumière n’est donc pas un véritable mouvement, mais une «tendance au mouvement»: c’est une pression.Néanmoins, les lois qui régissent les phénomènes lumineux (réflexion, réfraction) sont analogues pour les mécanismes «en puissance» et «en acte». Descartes va donc établir les lois de l’optique géométrique (loi des sinus) en utilisant les règles qui régissent une balistique des projectiles matériels. Il en résulte que l’expérience impose à la lumière une vitesse de propagation d’autant plus grande que les milieux sont plus réfringents (V eau 礪 V air). L’optique de Descartes semble pourtant souvent sybilline puisque réflexion, réfraction, dispersion, formation des couleurs s’expliquent par des images empruntées à une cinématique corpusculaire, tandis que la lumière reste essentiellement une action, une «tendance», une pression «comme tremblante» qui, par l’intermédiaire d’un milieu, «se redouble par petites secousses».Selon Descartes, la lumière parvient donc en un instant du corps lumineux à l’œil (ce qui est différent, comme il l’observe, d’une propagation instantanée, laquelle supposerait un agent qui se propage). «Si l’on me pouvait convaincre de fausseté là-dessus, ajoute-t-il, j’étais tout prêt d’avancer que je ne savais rien du tout en philosophie.» Or, vingt-cinq ans après la mort de Descartes, Olaf Römer montrait, par l’observation des occultations des satellites de Jupiter, que la lumière se propage avec une vitesse finie n’excédant pas 300 000 km par seconde.Ajoutons que dès la première moitié du XVIIe siècle Pierre de Fermat, postulant que la lumière se propage suivant un principe de moindre temps, avait montré que les actions lumineuses se propagent plus vite dans le vide que dans tout autre milieu.Les théories issues directement du cartésianisme ont tout naturellement conduit à attribuer à la lumière une nature non pas substantielle, mais cinétique: la lumière n’est pas une substance spécifique qui se propage; c’est une action , un mouvement spécifique au sein d’un milieu éthéré.Il importe de noter que la conception de la lumière comme action spécifique est inséparable de l’idée de milieu : celui-ci (éther) est un support de mouvement, mais il ne participe pas au mouvement d’ensemble, sinon la théorie se réduirait à une émission. Il est comparable à l’eau qui demeure, en moyenne, immobile, tandis que les rides créées par la chute d’une pierre progressent à sa surface. L’idée la plus simple consiste à accentuer le caractère tremblant de la pression cartésienne. Les vibrations lumineuses s’exercent alors autour d’une position moyenne, dans le sens même de la propagation: il s’agit donc de vibrations longitudinales. Telle est l’hypothèse de Malebranche. Il faut remarquer que ce postulat, qui devait, deux siècles plus tard, se révéler inexact, avait l’avantage de mettre l’accent sur la fréquence des vibrations plutôt que sur leur amplitude (alors confondue avec la direction même du mouvement). C’est donc la fréquence d’une vibration que Malebranche va associer à une couleur déterminée. Cette conclusion pertinente devait rester isolée et souvent ignorée jusqu’au XIXe siècle.En 1685 paraît le livre du père Grimaldi qui met en évidence une nouvelle propriété de la lumière: les phénomènes de diffraction . En traversant des ouvertures étroites, en rencontrant des obstacles très fins (fils, cheveux), la lumière peut cesser de se propager en ligne droite: les régions correspondant à l’ombre géométrique présentent alors des bandes lumineuses, tandis que les régions normalement éclairées montrent des raies obscures.Ces phénomènes conduisent le père Grimaldi à supposer que la lumière est une substance dont la propagation est susceptible de modalités ondulatoires. Sa nature ne peut être purement cinétique, mais les corps transparents sont capables d’infléchir sa trajectoire et de la détourner, de façon périodique, de part et d’autre de la ligne droite.Les modalités de ces ondulations, leur formation, leur lien avec la production de couleurs sont encore fort imprécises.Robert Hooke suppose que la lumière est formée par des ondulations transversales , c’est-à-dire perpendiculaires à la direction de propagation. Une certaine obliquité des vibrations par rapport à la direction permet, selon lui, de diversifier «la force» de la vibration. Selon qu’il est impressionné par une vibration d’abord faible puis forte, ou bien l’inverse, l’œil perçoit le bleu ou le rouge.Une mécanique systématique des vibrations est d’ailleurs explicitée dans les travaux du père Pardiès et du père Ango. Les notions de «vibration» et d’«ondulation» y sont nettement distinguées: les premières sont analogues au mouvement de haut en bas des molécules d’eau après la chute d’une pierre, les secondes à la propagation horizontale des rides. Ainsi des vibrations longitudinales peuvent-elles engendrer les ondulations transversales qui permettent d’interpréter les modalités des phénomènes lumineux.On constate que le modèle ondulatoire se précise et se complique. Toutefois, il faut remarquer que, en cette fin du XVIIe siècle, le père Ango propose les modèles ondulatoires pour expliquer les propriétés de la lumière, mais non pas pour en examiner la nature. Selon Aristote, physique et mécanique sont ici disjointes et, si les propriétés se résolvent en mouvements, elles ne sauraient exprimer ce qu’est la lumière en soi.Enfin, l’optique de Christiaan Huygens tente de préciser la formation des ondes lumineuses au sein d’un éther. Dans un éther élastique, chaque centre d’ébranlement émet une onde sphérique et chaque point de cette onde est lui-même source d’un ébranlement nouveau. L’enveloppe de toutes ces «ondelettes» constitue le phénomène qui va se propager.En adoptant un tel mécanisme d’ondes-enveloppe, Huygens va réussir à interpréter, avec un modèle ondulatoire, les lois de la réflexion, de la réfraction, et même de la double réfraction découverte, en 1669, par Érasme Bartholin. Huygens possède ainsi, sans le savoir, l’explication adéquate des phénomènes de diffraction: les ondelettes peuvent transporter une part de l’énergie dans la zone d’ombre géométrique. Huygens s’applique à montrer, au contraire, que cette énergie est négligeable, remettant à plus tard, jusqu’à Fresnel, l’interprétation correcte des phénomènes de diffraction par une propagation ondulatoire de la lumière.5. Les travaux d’Isaac NewtonLes premiers travaux de Newton sur l’optique datent de 1666. C’est alors qu’il construit un télescope à réflexions multiples. Pourtant, l’ensemble de ses recherches sur la théorie de la lumière et des couleurs ne paraîtra qu’en 1704 et elles seront donc influencées par les résultats des études sur l’attraction et aussi par les polémiques diverses qu’avaient suscitées ses travaux.Le 8 février 1672, dans une communication à la Royal Society, Newton avait attribué à la lumière une nature corpusculaire, se basant sur la complexité de la lumière blanche que manifestent les phénomènes de dispersion. Les couleurs, pense-t-il, préexistent au sein de la lumière blanche, substance complexe, et ne sont pas engendrées par l’influence des milieux diaphanes.Cette opinion avait entraîné de nombreuses controverses, en particulier les critiques de Hoocke et de Huygens. «Je savais fort bien, conclut Newton, que les propriétés de la lumière peuvent se comprendre non seulement par l’hypothèse qui m’est attribuée, mais par une infinité d’autres. En conséquence, j’ai pris le dessein de les éviter toutes.»Newton va donc éviter systématiquement de se prononcer sur la nature de la lumière. Il s’efforcera de partir d’une définition strictement positive du rayon lumineux, de rattacher la formation d’anneaux d’interférences (anneaux de Newton) à des dispositions périodiques de facile réflexion ou de facile transmission. Ces «accès» sont caractérisés par une longueur fondamentale définie quantitativement par l’expérience. Leur genèse hypothétique n’a donc pas besoin d’être explicitée.Toutefois, dès 1675, Newton est amené à développer une théorie mixte de la lumière: des corpuscules spécifiques pourraient exciter les ébranlements de l’éther. Cette idée, selon Newton, n’est destinée qu’à jouer le rôle des figures au milieu d’un texte obscur. Néanmoins l’introduction d’un éther semble favoriser l’interprétation des accès.Sans être hostile à l’introduction d’un éther, Newton reste cependant fidèle à l’interprétation corpusculaire et n’ira jamais au-delà d’une théorie mixte. Les raisons de cette préférence sont nombreuses: la nature corpusculaire explique plus intuitivement la propagation rectiligne, elle permet d’interpréter les phénomènes de diffraction par le bord des fentes et des écrans au moyen d’une attraction entre une lumière pesante et la matière située en son voisinage. Enfin Hooke, adversaire déclaré de Newton, est considéré comme le défenseur attitré d’un éther.Notons d’ailleurs que la formation des accès et la présence d’une périodicité est parfaitement compatible avec une nature strictement corpusculaire de la lumière. Il suffit de postuler, comme le fera plus tard Malus, l’existence de particules ellipsoïdales ou «polaires» reproduisant périodiquement une même configuration. La diversité des couleurs serait due elle-même aux différences de grosseur et de densité des particules lumineuses spécifiques.Néanmoins, Newton s’efforce de maintenir une attitude prudente: «Nous sommes certains que la lumière est une substance, mais il est plus difficile de déterminer ce qu’est cette substance [...]. Je ne veux pas mélanger ce qui est certain avec ce qui est incertain.»Les disciples de Newton ne garderont pas une telle réserve. Après le succès de la théorie de l’attraction universelle, on essaiera d’introduire des lois de ce type dans tous les domaines. L’attraction sera le processus destiné à interpréter réflexion, réfraction, diffraction d’une substance lumière par la matière. Avec l’influence de Voltaire, le développement de la théorie de Boscovitch, le newtonianisme va étendre à l’optique les processus attractionnaires; le corpuscule lumineux, doué implicitement d’une masse propre, est soumis aux forces de gravitation.Au cours du XVIIIe siècle, Leonhard Euler revendique pourtant l’héritage de Huygens, critique les conséquences de la théorie newtonienne (en particulier la proportionnalité entre dispersion chromatique et déviation par réfraction, ce qui exclurait la possibilité de réaliser des appareils achromatiques). Il esquisse un retour à une parenté entre lumière et son, mais cet apport reste isolé.En même temps, et dans l’esprit du XVIIIe siècle, se développent les principes d’économie naturelle (Leibniz, Maupertuis) qui, au moyen d’erreurs compensatrices, parviennent à faire bénéficier la lumière d’un traitement applicable aux seuls corpuscules matériels.6. Ondes lumineuses et champ électromagnétiqueLe début du XIXe siècle est marqué par le développement de nombreux travaux expérimentaux: découverte de la polarisation de la lumière en relation avec la double réfraction et la réflexion partielle (L. Malus); étude des phénomènes d’interférence (Young).Ces découvertes n’ont pas une incidence immédiate sur des hypothèses au sujet de la nature de la lumière. Malus est encore favorable à une interprétation corpusculaire de type newtonien, appliquée à des particules lumineuses polaires. Young (1773-1829) suppose, au contraire, que les interférences exigent une nature purement cinétique de la lumière.C’est Augustin Fresnel qui, multipliant les expériences sur les phénomènes de diffraction, montre qu’une interprétation ondulatoire de la lumière paraît s’imposer. De la lumière ajoutée à la lumière peut produire l’obscurité. La théorie des ondes élémentaires permet de prédire l’existence d’un point brillant au centre de l’ombre géométrique produite par un écran circulaire (Poisson) et c’est bien un tel résultat que vérifie l’expérience. Après la séance d’avril 1819 de l’Académie des sciences, la structure ondulatoire de la lumière paraît définitivement acquise.De plus, s’il en est besoin, une «expérience cruciale» vient bientôt départager les théories concurrentes: en adoptant une hypothèse corpusculaire, il faut conclure que la lumière se propage plus vite dans l’eau que dans l’air (Descartes, Newton). D’après une théorie ondulatoire, ces résultats sont inversés. En 1838, Arago déclarait que l’une des deux théories devait forcément succomber devant le verdict de l’expérience. Celle-ci est réalisée par Foucault, en 1850: la vitesse de la lumière, plus faible dans l’eau, assure le triomphe de la théorie des ondulations. Seul J. B. Biot soutiendra jusqu’à la fin du XIXe siècle les principes d’une théorie corpusculaire.La lumière, de nature vibratoire, va devenir bientôt un cas particulier des vibrations électromagnétiques. La théorie de Maxwell donnera mathématiquement les modalités de son action et tentera de les interpréter mécaniquement par des modèles d’éther (cf. LUMIÈRE - Optique).Enfin, par un renversement inattendu, la présence de discontinuités dans le rayonnement émis par le corps noir devait renouveler, au début du XXe siècle, une hypothèse favorable à des agglomérats énergétiques. Néanmoins, l’énergie de ces nouveaux «quanta» (Einstein) ou «photons» s’exprime nécessairement en fonction de la fréquence de l’onde associée. Ce double aspect corpusculaire et ondulatoire de la lumière va être étendu, par Louis de Broglie, à toute particule matérielle (1924).Ainsi, la nature de la lumière, phénomène d’exception, constitue encore la pierre angulaire de la construction des théories relativistes et quantiques de la physique moderne.
Encyclopédie Universelle. 2012.